Avec les TCA (troubles du comportement alimentaires, pour ceux qui l'ignorent), le truc, c'est qu'il y a des épreuves tous les jours.
Mais le pire, c'est quand on doit manger devant quelqu'un. Devant les collègues de travail, devant la famille, devant des amis...
Et là, c'est la descente aux enfers.
Déjà que manger c'est une corvée (enfin, je parle surtout pour mon cas, là), alors quand quelqu'un assiste à ma "punition" comme je l'appelle, c'est l'horreur. En semaine, je dois garder la face et manger "normalement" devant mes collègues de travail. Parfois, ils s'étonnent que je mange si peu, et quelques fois, ils ne disent rien. En général, pour faire bonne figure, je mange une salade composée et un dessert bien calorique. Parce que ça donne le change. Et parce que surtout, c'est facile à vomir. Surtout quand on boit beaucoup durant le repas.
C'est un truc que j'ai appris. Beaucoup boire quand on mange, car ça facilite le "rendu". C'est horrible ce que je dis, je sais. Mais c'est comme ça. Tous les jours, dans ma tête, j'imagine des techniques de folies pour ne pas avoir à manger, ou alors, si je dois manger, manger peu et ne pas le garder.
Donc manger tranquillement devant les collègues, parler de tout et de rien, faire comme si tout était normal. Ne pas montrer que je suis fatiguée, ni écoeurée par ce que je mange. Attendre qu'ils partent fumer, ou aillent ailleurs, pour aller aux toilettes. Prendre mon temps. Tirer la chasse d'eau pour cacher les bruits. Faire vite. Rendre. Re tirer la chasse d'eau. Vérifier que personne n'est entré dans les toilettes. Rendre. Tirer la chasse d'eau. Sortir des toilettes, se laver les mains, se nettoyer le visage, prendre un chewing gum ou un bonbon pour cacher les odeurs, se remaquiller, et sortir comme si de rien n'était.
Je peux vous dire que c'est usant. Et maintenant, j'en viens même à me moquer qu'on m'entende ou pas. Je n'en peux plus. Je suis usée de me cacher, j'veux juste qu'on me laisse dans mon coin, avec mes rituels, ma bouffe, mes trucs dégueux.
Au boulot, ça va encore, j'arrive à le gérer.
Et quand je vais au restaurant, c'est pareil, j'ai toujours une technique pour m'éclipser aux toilettes, et même quand c'est un peu long, on ne s'étonne pas, je suis une fille coquette, c'est normal que je prenne du temps. Par contre, quelques fois, je ressors les yeux rouges, c'est pas grave, j'attends encore un peu avant de retourner à table, et ça le fait.
Mon cauchemar personnel, à moi, c'est les repas chez ma mère.
Car ma mère sait que je suis malade. Sauf qu'elle ne sait pas comment le gérer. Alors, quand je mange là-bas, elle a tendance à remplir mon assiette.
"-Prend un oeuf, ma chérie. Et puis prend un peu plus de carottes, ça fait pas grossir, c'est que des légumes hein. Prend des tomates aussi. Et puis des concombres. Prend un peu de poisson, du riz. Tiens, je te mets un peu de ratatouille. Tiens, prends un yaourt. Prend une banane."
Pour elle, ce n'est rien, elle me sert des petites quantités. Seulement pour moi, c'est une montagne de nourriture. Pour moi, c'est trop. C'est comme si j'étais invitée à un mariage et que je mangeais pour 100. Oui, j'exagère peut-être pour vous, mais pour moi je vous assure, c'est bien trop.
Mais je mange, je n'ai pas le choix, elle me lance ce regard qui dit "tu peux bien manger ça, tu es toute maigre, ne discute pas."
Bien sûr, je pourrais très bien manger et aller me faire vomir par la suite, mais non... Bah ça serait trop simple...
Non, car les repas chez ma mère, ça dure souvent une éternité. Et comme elle sait que je me fais vomir, je peux tout simplement pas aller aux toilettes et y rester plus de 3minutes, sinon ça parait tout de suite suspect. Et comme par hasard, ces soirs-là, faut qu'on discute de tout et de rien, comme par hasard, l'éternité s'écoute et quand je rentre, je sais qu'il est déjà trop tard,que j'aurais déjà digéré. J'aurais beau m'efforcer à tout rendre, je ne le pourrais pas.
Alors je vais avoir mal au ventre toute la nuit, culpabiliser, et le lendemain, je ne mangerai pas.
Je hais les repas en famille. Je hais manger en public. Je déteste manger.
Mais plus que tout, je déteste cette maladie qui rend chaque sortie infernale.
Je n'en peux plus de tout ça.
Article écrit car ce soir, j'ai mangé chez ma mère, mais bon, j'ai évité de justesse la soirée interminable, tout le monde était fatigué. J'ai pu rentrer "à temps". Je me trouve horrible d'écrire ceci, je ne devrais pas penser comme ça, mais pourtant, je suis rassurée, j'ai pu rendre et ainsi, ne pas me sentir lourde.
D'ailleurs, à cette soirée, je me suis pesée, et j'ai constaté que j'avais perdu 1kg supplémentaire. Maintenant, je fais officiellement 43kg. Et ma mère m'a officiellement balancé un "ne continue pas ainsi Léa, ça ne le fera pas.". Elle est en colère, elle s'inquiète, et je crois que le livre qu'elle a lu n'a pas remédié à ses troubles ("Ce matin j'ai arrêté de manger", de Justine).
Je suis à 95% heureuse de ce nouveau kilo perdu. C'est une victoire, car chaque fois que je peux perdre, c'est quelque chose qui me rapproche, dans ma tête, du parfait. Et à 5% je pense qu'il faut que j'arrête, que je frise la bétise, que je dois me remettre dans le droit chemin, qu'il faut que je me fasse soigner.
Mais dans la balance, les 5% sont bien trop faibles, et je sais que demain, la journée sera identique à celle-ci.
Je vais me lever, prendre mes céréales, les manger, et pendant le reste de la journée, je vais lutter contre la fatigue, l'envie de tomber dans les pommes, boire de l'eau, manger un gateau et me dire que "vu le sucre qu'il y a là dedans, je peux tenir jusqu'à demain", et voilà, c'est tout.
Qu'est-ce que je peux être stupide. Quelle maladie à la con.