Je me souviens d'une époque où je regardais des films sur l'anorexie, le dimanche après-midi sur M6. (On a tous connu ça..)
Je rigolais de ces filles qui devenaient malades et qui s'en rendaient même pas compte. Je me demandais comment c'était possible, avec toutes les informations qu'on a aujourd'hui, de ne pas voir qu'on a un souci ?
Et puis ça m'est tombé dessus. La première fois que je me suis fais vomir, j'ai cru que c'était parce que j'étais désespérée, que c'était du dégoût pour la nourriture, ou encore de la tristesse. Alors j'ai ignoré tout ça. J'ai continué ma vie, enchaînant les repas maigres et les vomissements.
Je ne me suis pas rendue compte qu'il y avait quelque chose de pas normal. C'est bête non? Tout ce que je savais, c'était que je voulais mincir à tout prix. Devenir belle, les faire regretter toutes ces souffrances, me venger, plus que tout me venger.
Et puis, fatalement, j'ai fais un malaise et j'ai dû me rendre aux urgences. Là-bas, une infirmière m'a regardée et m'a dit :
'-Je sais qu'on ne se connait pas. Mais tu es jeune, tu as toute la vie devant toi, et je pense qu'il est dommage pour une jolie jeune fille comme toi de te gâcher la vie avec l'anorexie."
C'était la première fois qu'on osait me le dire. La première fois qu'on mettait un nom sur mes souffrances, sur mes crises.
Oui, ce n'est pas normal de se faire vomir, surtout quand on mange en si petite quantité. Oui, ce n'est pas normal d'aimer ses os, d'aimer les sentir et les voir. Je n'ai pas honte de le dire. J'aime me voir maigre, sentir mes côtes, mes hanches, chose que je n'ai jamais pu faire auparavant.
Le fait de me priver, de perdre du poids, ça me fait avoir un espèce de contrôle sur mon corps, je suis la seule à décider, à juger. C'est moi qui décide, moi la Reine. C'est con, mais je me sens toute puissante.
Et puis il y a les jours qui suivent. Les jours où je suis tellement affaiblie que je vais même pas pouvoir me lever de mon lit, les jours où je vais avoir une terrible rage de dents car elles se déchaussent, les jours où je vais être pliée en deux tellement j'ai mal au ventre, les jours où je vais perdre mes cheveux par poignées tellement ils sont anémiés, les jours où je vais avoir des sueurs froides, des tremblements et le tourni après avoir vomi. Ces jours-là, je me rends compte que je suis dans la merde, que ce que je fais n'est pas bien, que je vais finir par me tuer.
Malheureusement, ce genre de pensée rationnelle ne reste pas souvent, et mon désir de mincir reprend le dessus.
Alors pourquoi je suis ici, à blablater sur tout ça ?
Parce que je suis épuisée. A bout de forces. Que je suis perdue, que je n'arrive plus à faire face à tout cela seule, parce que j'ai besoin de parler mais pas à quelqu'un dont je pourrais voir le regard, car le regard des gens et parfois plus douloureux que des mots quand il se fait jugeur.
Parce que tout simplement, je me dis que peut-être, quelque part, quelqu'un a vécu ou vit la même chose et que peut-être, on pourrait s'entraider.
Parce que peut-être, un jour, je pourrais guérir et retrouver la joie de vivre, de sourire sans faire semblant.
Et peut-être qu'un jour, enfin, j'apprendrais à aimer ce que je mange.
Me voilà donc aujourd'hui... Bon, c'est pas catastrophique, j'ai encore quelques petits bourrelets, et des cuisses bien présentes...
Ou alors c'est moi, ou alors c'est dans ma tête, ou alors je ne sais pas.